Islande en stop fjords Ouest
Mon cher ami,

Un album de Björk en fond sonore, ce soir, j’ai plaisir à me replonger dans les précieux souvenirs de mon voyage en Islande, l’été dernier. J’ai commencé à te raconter notre tour de l’Islande en auto-stop dans de précédentes lettres : depuis le cercle d’or, jusqu’au bout de la côte Sud du pays, en m’interrompant le temps d’une plongée inoubliable dans une faille tectonique ou d’un trek de quelques jours à travers les paysages si variés des highlands.

Je t’ai laissé à Jökulsárlón, cette magnifique lagune glaciaire où jouent des phoques au milieu des morceaux de glace. Nous arrivons à l’Est. Notre route vient de recroiser celle de mon amie Marine qui fait le tour dans l’autre sens. Le temps de nous amuser ensemble dans un vieux bus transformé en abris pour chèvres et Léo et moi sommes prêts pour reprendre la route. Direction les fjords de l’Est.

Les fjords de l'Est

Islande en stop fjors Est
photo par Jonathan "Iceninejon"
Nous trouvons une voiture facilement. C’est une jeune islandaise qui initie ce nouveau chapitre de notre voyage. Pour arriver dans les fjords de l’Est, il faut passer sous un long tunnel. De l’autre côté, nous sommes accueillis par la brume. La route est déserte. Nous venons de dépasser le dernier point très touristique du pays.

Sur notre droite, l’océan. Les vagues viennent s’écraser avec puissance contre la roche sombre qu’elles sculptent patiemment. De temps à autre, un phare orange apparaît au bout d’une falaise, virgule colorée dans ce paysage tout en nuances de gris. Sur notre gauche, la ligne d’horizon danse le long des reliefs qui s’enchaînent. La roche s’élève et dessine des pics dont le sommet se perd dans la brume. Devant nous, la route serpente au milieu de ce paysage hostile, elle s’adapte toujours à sa nature, elle ne dérange rien.

Toujours personne lorsque nous quittons notre conductrice. Mais nous sommes bien trop heureux d’être là pour nous inquiéter. Et nous dansons comme des enfants sur le bord de cette route déserte. C’est peut-être cette bonne humeur communicative ou bien un peu de compassion devant la densité de la circulation dans ce bout du pays, mais nous trouvons finalement rapidement une nouvelle voiture. Deux voyageurs irlandais. « On s’était dit qu’on ne prendrait aucun auto-stoppeurs, on est beaucoup trop chargés… Mais merde, on va essayer quand même de vous faire un bout de place. » Nous rentrons toujours. Même sous un tas de bagages, même sans aucune place devant pour mettre les jambes. Et nous sommes rentrés, recroquevillés pour poursuivre sur cette route pendant quelques heures encore.

Après une nuit passée dans un camping pour pouvoir laver du linge et prendre une bonne douche, nous poursuivons déjà vers le Nord. Les fjords de l’Est seront passés bien vite au travers de la fenêtre des voitures qui se sont arrêtées à l’appel de notre pouce. Nous aurions aimé découvrir plus de cette région de l’Islande qui paraît encore si sauvage, avoir la chance de croiser un ou deux des quelques rennes qui peuplent cette partie du pays, mais nous souhaitons avoir le temps de prendre notre temps de l’autre côté de l’île, dans les fjords de l’Ouest.

Le Nord de l'Islande

Islande en stop Nord
photo par Mariusz Kluzniak
Nous arrivons au Nord-Est de l’île, près de Mývatn. Les reliefs autour de la route se sont transformés en montagnes rouges qui petit à petit se mettent à fumer, nous rappelant les paysages époustouflants autour de Landmannalaugar. Après quelques hésitations, nous demandons à notre conductrice du jour, une jeune allemande qui voyage seule, de nous arrêter au milieu de rien. Nous avons envie de nous perdre au milieu de toutes ces couleurs. Nous repérons un chemin de randonnée. Il nous fait grimper à de superbes points de vue. Nous serions bien incapables de nous lasser de ces montagnes rouges qui fument – même si c’était notre vue de tous les jours (Ah ! si seulement) ! Arrivés au milieu du parcours, une heure après avoir quitté la route, nous sortons du sentier pour explorer les alentours. Ici les collines sont bien rondes et verdoyantes. Nous en passons plusieurs pour nous perdre complètement. Il n’y a plus que nous et quelques moutons. Nous posons notre tente ici, cachés, bien loin de toute civilisation.

Aucun réseau, plus de batterie, seulement Léo et moi. Nous nous offrons une parenthèse déconnectée. Nous passons toute la journée du lendemain enfermés dans la tente, emmitouflés dans nos épais sacs de couchage. Nous nous sommes plongés entièrement dans nos bouquins. Pendant des heures et des heures nous resterons là à lire. Léo finit son livre avant que je ne finisse le mien, nous terminons donc la lecture du deuxième tome de Vernon Subutex à deux, en lisant un chapitre à voix haute à tour de rôle. Quand nous nous éveillons enfin de cette torpeur littéraire, il est déjà tard. Nous passerons donc une deuxième nuit dans cette cachette. Et cette pause nous fait du bien après ces derniers jours de mouvement perpétuel.

La seule chose, c’est que nous avons soif. Nous avons fini toute l’eau que nous avions ramenée du dernier camping et n’avons croisé aucune rivière jusqu’ici. Nous nous restreignons depuis la veille. Tellement que j’ai déjà rêvé que je buvais avant qu’une journée ne s’écoule encore sans eau, et donc sans pouvoir cuisiner non plus. Il nous faut sortir de notre cocon, retrouver le sentier de randonnée et finir le parcours. Au bout, coule une rivière. Nous affrontons donc de nouveau le monde, tout humide d’une fine bruine, rappelés à la réalité par un besoin on ne peut plus primaire. Nous laissons la tente et les sacs et partons avec notre vaisselle sale et nos gourdes vides.

La fin de la randonnée est très belle. Au bout, nous apercevons enfin cette rivière tant désirée. Il y a une douche qui est installée là. Elle coule en continu, puisant son eau d’une source d’eau chaude. Et la rivière s’avère être chaude elle aussi. Enfin tièdasse. Mais surtout pleine de souffre. Elle a un goût ignoble. Pas le choix. La soif devient insupportable. Nous en buvons le minimum pour tenir bon, nous ferons bouillir le reste pour faire un thé qui restera longtemps le plus mauvais que je n’aie jamais bu. Nous retournons au plus vite nous réfugier dans notre cachette.

Nous reprenons la route et pressons le pas sur la côte Nord du pays. Après les alentours de Mývatn, nous passons par Akureyri. Tout roule pour le mieux et nous laissons passer l’occasion d’aller à une fête de pêcheurs pour atteindre ces fjords de l’Ouest au plus vite. C’est un des coins du pays qui me faisait le plus rêver. Et je sais que la route est encore longue. Mais la chance nous a laissés là, sur le bord d’une route pourtant assez fréquentée, à un bon spot pour l’auto-stop. La chance nous a laissés là pendant six heures interminables à voir défiler des voitures qui ne s’arrêtent pas. Six heures à attendre sur le bord d’une route, six heures à continuer à sourire, six heures à lutter pour ne pas se décourager… C’est long. C’est très long ! Et c’est au moment où nous décidons d’abandonner pour aller nous trouver un coin où planter la tente qu’une voiture s’arrête enfin. Un expatrié portugais qui travaille là depuis quelques années. Il rentre à Reykjavik et passe donc devant la route qui mène aux fjords de l’Ouest. Quel soulagement. Quelle euphorie ! C’est pour tous ces vertigineux ascenseurs émotionnels que j’aime tant l’auto-stop !

Nous choisissons de nous arrêter au premier croisement entre la route numéro 1 qui fait le tour de l’île et la route qui s’enfonce dans les fjords ; même si notre conducteur/sauveur nous dit qu’il y en a une deuxième un peu plus loin qui rejoint le même endroit. Nous entamons la route pour les fjords à pied. Il est bien tard, nous cherchons un endroit où poser notre tente. Nous marchons plusieurs kilomètres sans trouver : des deux côtés, des barrières séparent les champs de la route et nous ne voulons pas rentrer dans une propriété privée. Nous marchons dans la pénombre. Milieu du mois d’août, les nuits commencent petit à petit à réapparaître. Après près d’une heure de marche, nous trouvons un endroit sans barrières. Ce n’est pas l’idéal pour la tente : l’herbe est très haute (mais bien moelleuse), le terrain est légèrement pentu, et la tente nous rendrait visibles depuis la route… Nous sommes trop épuisés pour continuer nos recherches. Nous décidons de dormir à la belle étoile, emmitouflés avec nos vêtements les plus chauds dans nos gros sacs de couchage. Quand j’y repense aujourd’hui, c’est quand même un sacré souvenir ! Dormir dehors en Islande, non mais tu imagines ça ?

Revigorés par cette nuit à la fraîche, nous reprenons le stop dans l’espoir d’atteindre Ísafjörður, à l’extrémité des fjords de l’Ouest, ce soir. Nous revoilà donc guillerets sur les bords d’une route… désespéramment déserte. Nous ne nous laissons pas abattre, nous sortons le jeu de cartes pour patienter entre deux voitures et nous les accueillons toujours avec nos plus beaux sourires. Mais voilà, la journée passe et nous sommes toujours là. Pas une voiture ne nous a emmenés. Les fjords de l’Ouest paraissent de plus en plus inaccessibles. Imagine seulement que nous connaissions les mêmes galères pour rentrer à Reykjavik et prendre notre avion de retour. Nous commençons à nous dire que nous reviendrons en Islande pour explorer uniquement cette région. Que nous louerons une voiture ou prendrons un vélo. Tant pis, ce ne sera pas pour ce voyage. C’est déjà bien d’avoir fait le tour de l’Islande en stop !

Le soir est déjà là quand nous décidons de rebrousser chemin pour retourner sur la route numéro 1. Dernière lueur d’espoir, nous allons essayer de tendre le pouce au croisement avec la deuxième route qui mène dans les fjords. Tu devines la suite ? Et oui, nous trouvons enfin une voiture. Il est 19h passées quand nous montons dans la voiture d’une maman islandaise qui a accompagné son fils de neuf ans pour un match de foot à Reykjavik – à près de cinq heures de route d’Ísafjörður où ils résident et où ils rentrent donc. Finalement nous y serons arrivés ! Nous dormirons ce soir dans les fjords de l’Ouest de l’Islande !

Les fjords de l'Ouest

Islande en stop fjords Ouest
photo par Johnny Peacock
La route est délicieuse en leur compagnie. Léo joue à l’arrière avec le petit Marlo (ça se prononce comme ça, mais je n’ai absolument aucune idée de l’orthographe) qui parle par ailleurs un excellent anglais, tandis que je discute avec la maman qui a passé toute sa vie dans ces fjords qu’elle aime plus que tout. « Avec un peu de chance, nous verrons des baleines. J’en vois très souvent quand je passe par cette route. » J’exulte ! Je rêve tant d’apercevoir ces géantes. Nous scrutons tous les quatre avec attention cet océan plein de promesses qui enlace la côte. Je me souviens avoir pris une photographie mentale de cet instant, dans cette voiture, avec eux, la petite bouille blonde de Marlo couverte de chips, à rouler dans les fjords islandais, à chercher des baleines des yeux. Nous n’en avons finalement pas vu, la maman était toute désolée mais c’était déjà un si beau moment que de les guetter dans chaque fjord. Ils nous ont aussi emmenés voir de jeunes renards polaires dans un refuge. Ces petites boules de poil noires avaient l’air joueuses comme tout.

Après une courte nuit, nous reprenons la route. Ísafjörður est une jolie petite ville côtière entourée d’une nature grandiose, faite de cascades et de montagnes. Il doit faire bon vivre ici. Après deux jours de galères en stop, attendre une ou deux heures sur les bords d’une route déserte nous paraît être une broutille. Il fait beau, nous avons toujours notre jeu de cartes et un peu de poisson séché pour patienter. Je me souviens notamment avoir passé un long moment sur une toute petite route de montagne. Léo et moi nous amusions à guetter les voitures qui arrivaient au loin à l’aide de la paire de jumelles. Mais l’attente en valait la peine. Nous avons été pris par un passionnant gars du coin, dont le boulot était de travailler à la reforestation de l’Islande. Il nous a appris que s’il n’y avait plus de forêts en Islande, c’était en grande partie la faute aux innombrables moutons qui mangeaient les arbustes jusqu’à la racine avant qu’ils n’aient eu le temps de grandir. Il fait également un détour pour nous faire découvrir l’impressionnante cascade de Dynjandi. Immensissime et magnifique au possible, lorsque nous apercevons cette cascade de loin pour la première fois, nous avons l’impression que l’eau est figée. C’est en nous approchant que le grondement sourd s’anime. La petite rivière que nous avons traversée plus haut dans la montagne s’est transformée en géante.

Islande en stop Est
photo par Lev Glick
Notre exploration des fjords de l’Ouest se poursuit à pied. Nous marchons jusqu’à un minuscule village – si j’ose l’appeler ainsi – d’où partira un bateau pour la péninsule de Snæfellsnes. Le port est tout aussi minuscule. Quelques bateaux de pêcheurs en bois attendent de retourner à l’eau. Des chevaux broutent autour de la petite église et un mouton curieux s’approche tout près de nous. Le soleil se couche alors et je prends plaisir à photographier cette belle scène qui s’offre à nous.

Nous cédons de nouveau aux plaisirs de l’isolement. Nous nous enfonçons dans les terres vertes. Nous marchons un moment sur un sentier qui n’a pas dû être emprunté depuis un moment. Et nous installons notre camp, tout près d’une rivière. Notre cachette est absolument parfaite. Si nous prenons un peu de hauteur, nous pouvons apercevoir l’océan au loin. Nous resterons là deux nuits avant de rejoindre la péninsule de Snæfellsnes qui marquera de façon mémorable la fin de ce tour de l’Islande. Mais ça, je te le raconterai dans une dernière lettre.  

Je t’embrasse.

Léa

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