À toi, l’ami voyageur, qui t’es décidé à faire le trek du Laugavegur en Islande, quelques mots pour te préparer. Sache déjà que c’est une bonne décision. Ces quelques jours à marcher seront parmi tes plus beaux souvenirs dans ce pays. Et pourtant, tu sais comme moi à quel point il est extraordinaire. Mon ami, je t’envie, j’aimerais t’accompagner, revivre cette expérience. Photographier de nouveau ces paysages. Alors va, profite. Et si tu te souviens de ces quelques lignes que tu lis, envoie-moi une photo ou quelques mots en souvenir de ce chemin que nous aurons parcouru tous deux. Déjà, il faut te demander dans quel sens tu veux faire ce trek. En partant de la côte pour aller à Landmannalaugar, les paysages seront de plus en plus beaux et ton arrivée sera spectaculaire. Tu pourras reposer tes muscles dans les sources d’eau chaudes de Landmannalaugar en regardant les montagnes rouges que tu as déjà franchi. Et ça, c’est un bel argument. En partant de Landmannalaugar pour aller vers la côte, tu as la pente en ta faveur, puisque tu débutes dans les highlands et que tu descends vers l’océan. C’est ce que nous avons choisi de faire. Pour aller à Landmannalaugar, la route est une première belle immersion dans les highlands. N’essaie même pas d’y aller si tu n’as pas de 4×4. Si comme nous, tu es à pied, un bus peut t’y emmener depuis Kirkjubæjarklaustur, sur la route n°1. Faire du stop pour aller jusqu’à cette ville dont je n’écrirai pas deux fois le nom était déjà une drôle d’aventure ! « Where are you going? – Kirku… This way! ». Le bus – que dis-je ?! le semi remorque surélevé – file sur la piste de plus en plus compliquée. Les champs de lave s’enchaînent à toute allure. Les passages à gué nous font à peine ralentir. Pendant des heures les paysages défilent et je me dis que nous sommes fous de vouloir refaire tout ça à pied ! Arrivée à Landmannalaugar, directement dans le campement. Tu ne peux pas poser ta tente ailleurs, tu es dans une zone protégée. Pas d’autres choix que payer une petite fortune pour monter sa tente sur des cailloux. La douche est payante ? Tant pis, ce sera pour la prochaine fois. Nous allons directement dans la source d’eau chaude où nous restons avachis pendant plusieurs heures. À nos côtés des voyageurs qui ne sont à Landmannalaugar que pour la journée et pour faire quelques randos, d’autres qui viennent de finir le trek et certains, qui comme nous, partiront le lendemain matin. L’ambiance est bonne dans ce drôle de bain collectif. Et autour de nous les montagnes nous font trépigner d’impatience.
De Landmannalaugar à Hrafntinnusker
Levés aux aurores – enfin, c’est une façon de parler, il fait jour depuis 2h du matin – nous sommes sur le point de débuter le trek du Laugavegur. Devant nous l’une des plus petites étapes du trek, qui peut être regroupée avec la suivante. Ce que j’ai pu attendre ce moment ! Trois, quatre, ou même cinq jours – on verra bien – à ne faire que marcher dans des paysages de fou furieux. Toi qui te prépare à faire ce trek, je ne vais sûrement pas t’aider à gagner en patience. Mais qu’importe ! Je t’embarque, et nous refaisons ce trek ensemble, à travers mes souvenirs. Quel plaisir de pouvoir s’y replonger. Le premier pas sur le Laugavegur est en montée. Oui, je sais, je t’ai dis que dans ce sens, la pente était en notre faveur, mais ça ne compte pas pour la première étape. Mais comment te dire ? On s’en fout ! Les mollets qui tirent un peu (les miens tiraient en tout cas) sont la toute dernière de tes priorités. Tu es à ce moment là dans les paysages les plus exceptionnels qu’il m’ait été donné de voir. La région autour de Landmannalaugar est d’une beauté sans nom. Mais vraiment. Je sais que j’ai l’émerveillement facile, que mes lettres regorgent de superlatifs, mais je pense réellement que ce sont les plus beaux paysages que je n’aie jamais vu. Tout autour de nous, des montagnes. Elles sont orangées, complètement nues d’arbres, tachées par de la neige éternelle et elles fument. À leur pied, des champs de lave. De temps en temps, un lac bleu turquoise (vraiment turquoise, c’est le souffre, pas une envolée lyrique), ou un champ de fleurs de cotons. Nous avons eu la chance de découvrir ces paysages sous un ciel presque bleu. Rien que pour cette région, je sais que je retournerai en Islande. Même sans faire le trek, une randonnée à la journée autour de Landmannalaugar permet déjà d’en prendre plein les yeux ! Allez, entre deux « Wow ! », nous continuons à grimper. Je crois que c’est dans une montée que je glisse à Léo « Écoute, je suis claquée, je ne me sens pas d’enchaîner les deux étapes aujourd’hui ». Plus nous montons, plus la neige s’étend et plus la roche s’assombrit. Puis le premier refuge nous apparaît. Nous arrivons à Hrafntinnusker. La journée est terminée, nous avons bien marché. Nous nous préparons une gamelle et un bon thé. Il est près de 15h et je ne sens déjà plus mes doigts. Il fait très froid. Les tentes qui sont déjà montées sont protégées du vent glacé par quelques pierres empilées. C’est mauvais signe. La nuit va être terrible. Mes doigts commencent à perdre leurs couleurs et je ne mets pas longtemps à dire à Léo « Finis vite ton thé, on repart ! ». Et honnêtement, c’était la bonne décision. Quel froid ! Et c’était une belle journée ensoleillée du mois d’août.
De Hrafntinnusker à Álftavatn
L’étape qui nous attend n’est pas trop physique : c’est beaucoup de descente, et seulement 12 km nous séparent du prochain refuge. La montagne s’est transformée. Sa silhouette sombre et déchirée se dessine en pics menaçants. Entre la boue et la neige, les descentes sont de plus en plus casse-gueule. Il y a celles que l’on aborde en crabe, en étudiant chaque petit coin de boue sur lequel notre pied atterrira, et puis celles où on laisse tomber ! Je me souviens tout particulièrement d’une descente enneigée. J’ai commencé en crabe, j’ai pris mon temps pour engager mon premier pied… qui a glissé tout de suite. J’ai fini sur les fesses à dévaler la pente en quelques secondes. À l’atterrissage, un groupe d’islandais, en haut, s’inquiétait de savoir si je ne m’étais pas fait mal. Et quand ils m’ont vue rire aux larmes, ils se sont mis à glisser tous ensemble dans de grands éclats de rire. Le chemin continue, je fais tout mon possible pour ne pas regarder que mes pieds. Et puis tout à coup, le paysage change de nouveau de couleur. Devant nous, des kilomètres et des kilomètres de vert. Et le vert islandais est bien particulier, plus arrosé que le vert de chez nous, il est d’une puissance surprenante. C’est une immense vallée qui s’étend jusqu’au lac d’Álftavatn. Et c’est là que nous allons. À cet instant, une curieuse intuition traverse mon esprit : je m’attends à voir apparaître des dinosaures. Oui, des dinosaures. Je te rassure, cette pensée n’a fait que me traverser mais en y réfléchissant, je comprends : devant moi, des kilomètres et des kilomètres de paysages entièrement dénudés des traces de l’Homme. Je n’ai pas l’habitude de voir ça. La nature que je côtoie est toujours contrôlée par l’Homme. Délimitée, quadrillée, guidée. Là, c’est juste une vallée, un lac et nous. Et c’est bouleversant. Là encore, les photos que j’aurais pu te montrer si je ne m’étais pas fait voler mon appareil, n’auraient pas suffit. Il faut être petit, il faut être là. Nous finissons cette étape, droit vers le lac. Nous ne croisons aucun dinosaures mais devons traverser notre première rivière à gué. Pas de soucis, nous nous étions préparés. Nous cherchons un endroit qui semble moins profond, retroussons nos pantalons, enfilons nos sandales, détachons la ceinture ventrale de notre sac à dos. Bien cramponnés à nos bâtons de marche, nous sommes prêts à affronter le courant. Premier pied dans la rivière. Merde, que c’est froid. Réfléchis pas. Ce qui compte, c’est de ne pas perdre l’équilibre. Prend le temps de bien poser ton bâton, ton pied, et avance prudemment. Un hurlement gonfle dans mon ventre. Ça fait mal ce froid ! J’essaie d’accélérer sur les derniers pas. J’ai des lames de couteaux plein les pieds. Ça y est, je suis de l’autre côté ! Le hurlement éclate en un rire de soulagement : première rivière à gué traversée et c’était presque cool ! (À noter : je t’écris ce texte plusieurs mois après le trek.) Nous inventons immédiatement une tradition : se faire un café quand nos jambes sèchent. C’est mérité, non ? Nous arrivons finalement au lac d’Álftavatn. Je ne sais plus à quelle heure, mais qu’importe, il fait jour. Nous montons la tente juste en face du lac. C’est la fête ce soir : pâtes au pesto !
D’Álftavatn à Emstrur
La journée du lendemain commence fort, nous avons deux gués assez profonds à traverser dès le premier tronçon. Ça fait toujours mal. Mais nous sommes forts ! (À noter : je t’écris ce texte plusieurs mois après le trek.) Petit à petit, le vert flamboyant s’assombrit, la terre se transforme en sable. Et nous arrivons dans un désert de sable noir. C’est un paysage impressionnant, rien d’autre que du sable noir et quelques fleurs blanches sauvages qui s’épanouissent mystérieusement dans ce sol volcanique. Nous avons plusieurs heures devant nous pour marcher dans ce paysage. Et je me dis que c’est presque reposant ce trek. Nous n’avons rien d’autre à faire que marcher. Nous avons à manger, pas de voiture à trouver, pas de contraintes horaires, nous savons où dormir ce soir. Il nous suffit d’avancer. Et ici, c’est facile. Nous discutons, nous faisons des projets, refaisons le monde. Ou alors nous nous taisons. C’est appréciable aussi, ce silence tranquille dans le désert. Ils sont loin, très loin les traquas du quotidien. Le seul bémol, c’est que c’est le pire lieu qu’on l’on puisse imaginer pour avoir des problèmes de digestion… Voilà, c’est dit. Le soir, nous arrivons à Emstrur. Le campement est plein et les parcelles de terrain planes sont déjà toutes prises. Impossible de poser la tente ici. Nous continuons, continuons. Dans nos recherches pour un bout de plat, nous finissons par traverser une rivière et nous isoler totalement. Le campement est déjà loin. Bon, et bien ce sera une soirée en bivouac alors. Léo se lave dans la rivière, le soleil était déjà caché derrière les montagnes. Et je te déconseille de faire pareil. Il est revenu frigorifié et a mis un long moment à se réchauffer. Bêtise !
D’Emstrur à Þórsmörk
Nous reprenons la route au petit matin. Un thé, quelques biscuits, nous défaisons le camp, refaisons les sac à dos et nous partons marcher. La routine s’est installée, et celle-ci je l’aime tout particulièrement. Tu as sûrement compris ce qui rend ce trek si exceptionnel… Et oui, nouvelle journée, nouveaux paysages. Cette fois, ce sont les glaciers qui nous entourent. Eyjafjallajökull, Tindfjallajökull et Mýrdalsjökull. (Ce sont des copier / coller, ne rêve pas, tu n’apprendras pas l’islandais en quelques semaines sur ses routes). C’est la première fois que je vois un glacier de si près et c’est assez surprenant de pouvoir observer aussi facilement les strates dessinées par les années sur sa tranche. Après le noir du désert de la veille, le vert d’Álftavatn, le rouge de Landmannalaugar, nous sommes au milieu d’un blanc pur. Lui a peut-être bien vu les dinosaures. Le chemin est assez facile aujourd’hui encore, la marche est agréable. À peine une petite rivière à traverser, ça ne nous fait plus peur ! Et pour finir, nous traversons un paysage on ne peut plus exotique pour l’Islande… une forêt ! Je ne te cache pas que ça fait bizarre au début. De la mousse, des fougères et des bouleaux partout. Tous ces arbres d’un coup, nous avions perdu l’habitude. Mais le plus étrange c’est de ne pas pouvoir voir à plusieurs kilomètres à la ronde ! La végétation ici est superbe : les verts toujours aussi irréels, se mélangent à de la mousse jaune et seront bientôt succédés par des champs de fleurs rouges et blanches. Voilà, c’était notre gentille dernière claque du trek, nous arrivons à Þórsmörk. Nous avons officiellement terminé le Laugavegur. Et c’était chouette. Oui, c’est vraiment une belle expérience. À l’arrivée au campement, dilemme : est-ce que l’on continue à marcher jusqu’à Skógar, près de la route n°1, pour s’offrir une journée de marche supplémentaire ? Cette portion est réputée difficile et je veux bien le croire en voyant la chaîne de montagnes qui s’élève devant nous et le premier gué à traverser. Nous choisissons d’arrêter le trek là et de reprendre notre voyage en stop, il nous reste quand même un bon bout du pays à parcourir ! C’est donc à bord d’un bus pour Seljalandsfoss que nous retrouvons la route n°1 que nous avions quitté quatre jours auparavant. Je te souhaite tout plein d’émerveillement et de paysages « Wow ». Je t’embrasse.
Léa
Photo de couverture par Xaray.La série :
- Le tour d’Islande en stop [1/6] – Le cercle d’or
- Le tour d’Islande en stop [2/6] – Snorkelling dans la faille de Silfra
- Le tour d’Islande en stop [3/6] – Le Sud
- Le tour d’Islande en stop [4/6] – Le trek du Laugavegur
- Le tour d’Islande en stop [5/6] – La route des fjords
- Le tour d’Islande en stop [6/6] – La dernière journée
Cet article a 2 commentaires
Superbe récit ! Moi qui pensait qu’il fallait absolument louer une voiture pour l’Islande !!
Merci ! Et oui, plutôt étonnant, mais l’Islande peut être un voyage petit budget ! 🙂 Et, qui plus est, parcourir le pays en stop permet de le découvrir autrement. Une vraie chouette expérience que je te conseille !