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À l’heure où je t’écris d’habitude pour te raconter les voyages de l’année écoulée et les projets de l’année qui débute tout juste, je n’ai pas envie de le faire. Certes, 2021 a commencé sur la route, certes, j’ai admiré de magnifiques paysages, seule au lever du soleil depuis le sommet d’une montagne ou encore depuis l’océan avec des amis éphémères dont je peine déjà à me remémorer les noms.

Quand je pense à l’année qui vient de se terminer, c’est de ce chez moi du bout du monde dont j’ai envie de te parler. Ce chez moi que je ne cherchais pas mais que j’ai trouvé au hasard d’une panne de voiture.

Les trois jours de passage sont devenus peut-être un petit mois, pourquoi pas l’hiver. Et voilà dix mois que je vois les saisons défiler sur les arbres qui font partie de mes paysages quotidiens. Alors non, ce ne sont pas les paysages les plus éblouissants que j’aie vus, mais c’est chez moi. Je regarde cet arbre verdoyant en sachant que c’est tout de rose qu’il s’habille au printemps. Je regarde cet arbre aux fleurs rouge vif en me souvenant du goût des fruits qui n’apparaîtront que dans quelques mois.

Mais ce ne sont pas les arbres qui ont fait de cette petite ville du bout du monde un chez moi. Ce sont les humains qui l’habitent ou qui y passent. Ces humains que j’ai appris à reconnaître, à connaître et à aimer.

Reconnaître

Je crois que, pendant très longtemps, ce que j’ai cherché au milieu des foules des villes inconnues ou dans l’immensité des paysages, c’est l’invisibilité. Je n’étais qu’un témoin de passage, insignifiante et heureuse d’observer celles et ceux qui y existaient réellement. Et puis la voyageuse de passage est simplement repassée, encore et encore, dans ces rues qui n’ont plus besoin d’une carte pour se dessiner. Et puis je me suis arrêtée, le temps d’un café, le temps de sourire timidement à ce visage que j’ai croisé hier.

Et petit à petit, j’ai pris corps dans le regard de ces gens que je reconnaissais. Ils me reconnaissaient aussi, se souvenaient de comment j’aime boire mon café, m’appelaient par mon prénom sur le marché et me disaient « à la semaine prochaine », parce qu’ils savaient déjà, eux, que je repasserai encore et encore. Et à force de reconnaître et d’être reconnue, la témoin invisible est devenue actrice sur la scène de vie de cette petite ville du bout du monde. Je fais partie de cette communauté. J’existe ici. Je suis chez moi.

Connaître

On se reconnaît d’abord, puis on apprend à se connaître, doucement. Au début, je me sentais maladroite avec ces bavardages, ces « small talk » que ma culture me faisait penser futiles. Je m’ouvrais peu. À quoi bon ? Et puis j’ai retourné quelques questions. Et des inconnus m’ont donné un peu d’eux-mêmes. À travers quelques banalités, pas toujours si banales, certains de ces inconnus sont devenus des amis.

Et puis il y a ceux qui ne s’habillent pas de bavardages. Souvent des voyageurs, que l’habitude d’être de passage rend plus pressés. Ceux-là donnent beaucoup, tout de suite. Et, en l’espace de quelques semaines, se tissent des liens qu’une vie sédentaire aurait mis des mois à voir apparaître.

Aimer

De celles et ceux que j’apprends à connaître sur le bord d’une route, je sais que très peu resteront. Voyager, c’est apprendre à dire au-revoir ; et ce sont souvent des adieux que l’on déguise ainsi. Et puis il y a certaines personnes, une petite poignée, qui très vite, apparaissent comme une évidence. Elles feront partie de ma vie. Je traverserai océans et continents pour qu’elles y restent. Et dans ce chez moi du bout du monde, c’est une généreuse poignée de ces évidences que j’ai appris à connaître et à aimer.

Ici, j’ai gagné l’amitié précieuse d’humains qui m’inspirent au quotidien. De celles et ceux avec qui tu peux parler de tout. Sans filtre. Sans jugement. Tout comme faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Ici, j’ai appris à aimer en ami celui de qui, des années durant, j’ai été amoureuse. Ici, je suis tombée amoureuse. Ici, j’ai aussi appris à m’aimer un peu plus, portée par le regard de celles et ceux qui étaient encore des inconnus hier. Et c’est là, sans doute, un bien ambitieux voyage pour cette parenthèse immobile.

Voici donc un petit aperçu de ce chez moi du bout du monde et de cette inattendue famille de passage, qui s’est arrêtée le temps de se reconnaître, de se connaître et de s’aimer.

Je pars à la fin du mois traverser l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande à pied, accompagnée de certains membres de cette drôle de famille. Et après ça, je reviens. On rentre toujours à la maison.

J’ai 1300 km de marche pour réfléchir à mes plans pour après. Ou pour simplement accepter de ne pas en avoir, le temps de cette parenthèse immobile qui s’allonge, encore et encore. Pour un temps, je ne suis donc plus vraiment une voyageuse. Je ne sais pas vraiment quelle étiquette me coller maintenant, mais, ce que je sais, c’est que je suis vivante. Incroyablement vivante.

Je t’embrasse,

Léa

PS : Il y a quelques temps, je me suis essayée à un exercice tout nouveau pour moi et j’ai écrit deux petits poèmes, inspirés par ce chez moi du bout du monde. Je te les partage juste en-dessous. Ce sont les deux premiers poèmes de toute ma vie, j’espère que tu ne seras pas trop sévère.

***

Une invisible brise passagère (09/11/21, Nelson)

Une invisible brise passagère
Sillonnant le hasard d’une route
Ou les rues d’une ville étrangère
Omettant dans cette course les doutes.

Une invisible brise étrangère
Prenant part à un tourbillon
Fait de vents des deux hémisphères
Voulant un temps tourner en rond.

Une invisible brise passagère
Qui prend le temps d’une pause
Prend racines dans ce souffle de pairs
Qui lentement la métamorphose.

***

Foule floue (10/11/21)

Dans cette foule floue où le vagabond de passage
Las de ne que passer décide de s’arrêter
Le temps d’apprendre à reconnaître tous ces visages
De faire de l’inconnu un ami à quitter.

Dans cette foule floue je me souviens de ralentir
Et que la route sera toute aussi belle demain.
Moi qui comptais sur la solitude pour grandir
Je me construis d’amitiés du bord du chemin.

C’est de cette foule floue que naît une famille d’amis
Déracinés, ces liens éphémères sont plus forts
Aussi pluriels soient tous nos chemin jusqu’ici
Toujours liés quand la route appellera encore.

[English translation]

My home at the other side of the world

At the time when I usually write to you to tell you about the travels of the past year and the projects of the year that is just beginning, I don’t feel like doing it. Certainly, 2021 started on the road, certainly, I admired beautiful landscapes, alone at sunrise from the top of a mountain or from the ocean with ephemeral friends whose names I can hardly remember.
When I think about the year that has just ended, I want to talk to you about this home at the other side of the world. This home that I was not looking for but that I found by chance when my car broke down.
The three days of passage became perhaps a small month, why not the winter. And here are ten months that I see the seasons passing by on the trees that are part of my daily landscapes. So no, it’s not the most dazzling scenery I’ve seen, but it’s home. I look at this green tree knowing that it’s all pink when it dresses up in the spring. I look at this tree with bright red flowers remembering the taste of the fruit that will only appear in a few months.
But it is not the trees that have made this little town on the other side of the world my home. It is the humans who live there or who pass through. These humans that I have learned to recognize, to know and to love.

Recognizing

I think that, for a very long time, what I was looking for in the middle of the crowds of unknown cities or in the immensity of the landscapes, was invisibility. I was only a passing witness, insignificant and happy to observe those who really existed there. And then the passing traveler simply passed by again and again, in these streets that no longer need a map to draw themselves. And then I stopped, the time for a coffee, the time to smile shyly at this face that I crossed yesterday.
And little by little, I took shape in the look of these people I recognized. They also recognized me, remembered how I like to drink my coffee, called me by my first name in the market and said « see you next week », because they already knew that I would come back again and again. And by dint of recognizing and being recognized, the invisible witness has become an actress on the stage of life in this small town on the other side of the world. I am part of this community. I exist here. I am home.

Knowing

First you recognize each other, then you get to know each other, slowly. At first, I felt awkward with this small talk, which my culture made me think was futile. I didn’t open up much. What was the point? And then I returned some questions. And strangers gave me a little of themselves. Through a few banalities, not always so banal, some of these strangers became friends.
And then there are those who don’t dress up in small talk. Often travelers, that the habit of being in transit makes more hurried. These ones give a lot, right away. And, in the space of a few weeks, bonds are forged that a sedentary life would have taken months to see appear.

Loving

Of those I get to know on the side of a road, I know that very few will stay. To travel is to learn to say goodbye; and it is often farewells that are disguised this way. And then there are certain people, a small handful, who very quickly appear as an evidence. They will be part of my life. I will cross oceans and continents to keep them there. And in this home at the other side of the world, it is a generous handful of these evidences that I have learned to know and love.
Here, I have gained the precious friendship of humans who inspire me daily. People with whom you can talk about anything. Without filter. Without judgment. Just like partying until the end of the night. Here, I learned to love as a friend the one I was in love with for years. Here I fell in love. Here, I also learned to love myself a little more, carried by the look of those who were still strangers yesterday. And this is, without a doubt, a very ambitious journey for this immobile parenthesis.

Here is a small glimpse of my home at the other side of the world and of this unexpected family, who stopped to recognize each other, to know each other and to love each other.
At the end of the month, I’m leaving to cross the South Island of New Zealand on foot, accompanied by some members of this strange family. And after that, I come back. We always come back home.
I have 1300 km of walking to think about my plans for after. Or to simply accept that I don’t have any, the time of this immobile parenthesis that is getting longer and longer. So for a while, I am not really a traveler anymore. I don’t really know what label to put on me now, but what I do know is that I am alive. Incredibly alive.

With love,

Léa

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Cet article a 4 commentaires

  1. Mouton

    Love you forever and ever

  2. Cécile

    <3 <3 <3 <3
    Gros bisous de loin ! Continue à vivre à fond

  3. Defranoux-Cadart Anne

    C’est toujours un vrai bonheur de te lire, ma Bichette et je suis heureuse de te sentir bien dans ta peau et satisfaite de ce que tu vis, tellement loin de nous.
    Nous te souhaitons, Jean-Paul et moi, tout ce que tu mérites de meilleur et l’aboutissement positif de tous tes projets. Le tout agrémenté d’une santé sans nuage et solide !
    Gros, gros bisous de nous deux et prends bien soin de toi.
    Mamie Anne.

  4. Grange

    Merci de nous raconter,de nous permettre de te. Suivre de loin,d’être plus proche de toi que nous ne l’avons été quand quelques km seulement nous séparaient …cette mue que tu racontes est passionnante c’est un mûrissement ,tu t’ouvres à des rencontres,tu remets en cause ta course perpétuelle ton écriture est riche et prometteuse. On attend la suite…et peut-être un jour,si tu reviens et si nous sommes encore là, nous pourrons faire partie de tes amis
    Zizú et Joseph

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