Rencontre auto-stop

Wolfgang,

J’aime éperdument les jours de départ. Les quelques heures qui précèdent un voyage sont celles que je préfère. L’excitation face à l’inconnu, l’impatience de le rencontrer, le bonheur anticipé de la découverte, l’appréhension avant une prise de risques… c’est ce cocktail qui me fait me sentir vivante, au point d’en sautiller dans tous les sens dans mon salon.

Mercredi était un jour de départ. La route me tendait les bras. Pourtant, l’excitation n’était pas là.

Mon réveil sonne à 6h30. Qu’importe les yeux qui collent encore, mon premier réflexe est de regarder les résultats des élections américaines. Je lis trois fois la réponse que me fait Google avant de comprendre… Donald Trump est quasiment élu. Il est sur le point d’être officiellement le président des États-Unis. Le président de la première puissance mondiale. Merde. Je suis incapable de retenir mes larmes.

Je ne comprends pas. Je ne comprends pas comment plusieurs millions de personnes ont pu sciemment choisir la haine. Oui, cet homme représente la haine de la différence. Je ne comprends pas comment un peuple d’immigrés peut devenir aussi intolérant. Je ne comprends pas comment on peut oublier à ce point là l’Histoire. Celle des États-Unis d’abord, et celle de l’Europe, où des élections, elles aussi basées sur la haine, ont eu le résultat que l’on connait.

Enfin, il me semble qu’on le connait… Ce nouvel élan massif de haine me blesse directement. J’avais une bien plus haute estime de l’être humain. Le hasard heureux de ma naissance fait que je ne suis pas directement menacée. Et encore… Je suis parfaitement concernée par les accords environnementaux qu’il souhaite renégocier…

Petit à petit, les larmes se sèchent et l’appel de la route reprend le dessus. Il me faut partir.

Ce matin, malgré la pluie et le froid, je rejoins Marine sur le bord de la route. Nous tendons le pouce avec pour objectif de nous rendre en Autriche. Ce soir, nous sommes attendues à Innsbruck.

Ce périple de six jours entre Lyon et Vienne est principalement composé de routes. Ces routes ont été ma thérapie. Je suis partie, la boule au ventre, chargée de désillusion et d’un profond sentiment d’impuissance. Je suis rentrée le cœur gonflé par la chaleur humaine.

Wolfgang, je t’écris aujourd’hui pour te remercier. Je t’adresse cette lettre, mais j’aurais également pu l’adresser à Genc qui a fait un détour de quatre heures pour nous aider, à cet homme qui s’est lancé dans une course effrénée pour avoir le dernier train et nous sauver d’une impasse, à cette vieille dame, parlant à peine anglais et nous offrant des bretzels, à tous ceux qui se sont arrêtés devant l’appel de notre pouce en général, à ceux qui nous ont accueillis chez eux…

Mais c’est à toi que j’ai choisi d’adresser cette lettre Wolfgang. Ta bienveillance me marquera longtemps.

Nous étions déjà si chanceuses que ta route croise la nôtre. Faire le trajet entre Innsbruck et Vienne avec une seule voiture était inespéré. Mais ce trajet a été bien plus qu’un simple déplacement d’un point A à un point B. Tu as pu quitter l’autoroute pour rouler dans des paysages incroyables. Désormais, j’associe à la douceur de ta voix, ces petites routes de montagne où les arbres aux couleurs de l’automne contrastent avec la neige fraîche des Alpes. Tu nous expliques, tu nous racontes, tu nous fais visiter. Depuis notre rencontre, j’ai ajouté « Assister à un concert de musique classique à Salzbourg » dans ma bucket list. Tu nous invites dans un petit restaurant que tu connais au milieu des montagnes. Tu offres du thé à la pomme et à la cannelle à Marine car elle a adoré le dessert à la pomme et à la cannelle. Tu m’offres des épices à vin chaud car nous avions parlé de vin, un peu plus tôt dans le trajet. Tu chuchotes quand Marine s’assoupit, tu ralentis quand je prends une photo par la fenêtre. Tu écris toi-même à notre hôte, pour t’assurer que nous serons bien accueillies à notre arrivée à Vienne… Tu es de ces personnes dont la bienveillance infinie n’attend aucun retour. Quelques heures après notre rencontre, nous disparaissons de ta vie pour toujours. Encore une fois, l’éphémère a su rendre sa part de magie à notre rencontre.

Es-tu une exception Wolfgang ? Je ne doute pas un instant que tu sois un être exceptionnel et je mesure la chance que nous avons eu de te rencontrer. Mais tous mes voyages en auto-stop me font croiser la route d’êtres exceptionnels dont la gentillesse ne cessera jamais de me surprendre. L’être humain, quand il est individu et non masse, est finalement bon. J’en suis de nouveau persuadée.

Merci de me l’avoir rappelé.

Je pense très sincèrement que le voyage est nécessaire. Il rappelle sans cesse que l’être humain, quel que soit son lieu de naissance, est bon. Il ouvre les yeux, rend humble et plus tolérant. Il te fait comprendre à quel point la différence est une richesse. C’est pour ça que je veux continuer à voyager. Je veux encore et encore aller à la rencontre de l’inconnu. Et j’aimerais tant croiser plus de monde sur ma route. Plus de personnes qui voyagent, qui fassent par eux-mêmes ces constats que je commence à faire émerger de mon esprit. Le voyage offre l’ouverture qui permet la tolérance. J’en suis sûre, le voyage a un rôle clé dans la paix.

Merci encore. Merci infiniment pour tout cet espoir que tu as su m’offrir, sans même t’en rendre compte.

Je t’embrasse.

Léa

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Cet article a 9 commentaires

  1. Defranoux-Cadart Anne

    J’ai adoré ton message à Wolfgang, c’est plein d’ESPOIR et de CONFIANCE en la vraie humanité, qui ne
    fait pas de bruit, ni de fanfaronnade, mais qui existe tout simplement !! Merci, Léa, de nous permettre de profiter de tes expériences, de tes rencontres.
    Gros, gros bisous et prends soin de toi.
    Mamie Anne.

  2. Aurelien

    Merci Lea pour cette belle declaration qui me parle tellement!!!
    Heureusement que sur cette terre il y a des etre comme Wolfgang, mais aussi comme toi, car la reconnaissance de la bienveillance rassure le bienveillant 🙂
    LA vrai humanité celle du partage et de la tolérance, il ne faut pas l oubliée elle est en chacun de nous 🙂
    Tu as bien raison il faut se nourrir de nos différence pour ensemble construire notre avenir commun 🙂
    Le voyage ouvre l esprit et de plus c est la porte de la tolerance, je suis entieremment d accord avec toi 🙂
    Merci encore de nous faire profiter de toutes tes expériences!!
    Au plaisir de te rencontrer sur Lyon pour parler voyage!
    Aurélien

    1. Léa

      Merci Aurélien pour ce retour qui, une nouvelle fois, me touche beaucoup. (:

      1. Aurelien

        De rien je t en prie,
        heureux que ces commentaires te touchent car tes temoignages me touchent beaucoup! ne serait pas la ce qu’on appelle echange et partage ? 🙂
        Merci 🙂
        Si tu es sur lyon vraiment n hesites pas ce serait un plaisir d echanger avec toi 🙂
        Aurelien

  3. Marion

    Chère Léa,

    Quelle douceur dans tes mots! Et qu’est-ce que j’aime, lire des retours d’expérience comme ça, ceux qui font sourire juste à leur évocation, ceux qui redonne foi en l’humanité.
    Je ne sais pas pourquoi, mais en lisant ton texte, j’ai pensé aux éléphants et à Morel, protagoniste du roman Les Racines du Ciel, de Romain Gary. Je me suis dit que Wolfgang, c’était un peu notre Morel, celui qui croit en la liberté et en l’intégrité de l’espèce humaine.

    À bientôt,

    Marion

    1. Léa

      Chère Marion,

      Une nouvelle fois, merci pour ton message.

      Je ne connais pas le roman dont tu parles mais je me ferai un plaisir évident d’y chercher un bout de Wolfgang. (: Merci pour la découverte !

      Je t’embrasse.

      Léa

  4. Sarah G

    Merci pour ce beau texte. Les rencontres en auto-stop sont des expériences exceptionnelles, je pourrais en écrire un livre complet tant elles m’ont apporté. Je nous en souhaite plein d’autres !! Des bisous des Caraibes 🙂

    1. Léa

      Que j’aimerais le lire ce livre ! (:
      Je nous souhaite aussi des dizaines d’autres belles rencontres sur la route, et je ne doute pas à instant qu’elles nous attendent déjà ! Sur les routes cabossées des Caraïbes ou celles, sinueuses, du Portugal. (:

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