Madame Ferrand,
Premiers coups de pédales. À cet instant il n’y a que Léo, moi, ces deux jours sans aucun plan et la Bretagne qui s’offre à nous. Nous quittons Saint Malo. Premiers coups de pédales. C’est encore facile, les vélos sont excellents et le soleil, timide, nous enrobe de sa douceur. Nous commençons à pédaler sans imaginer que c’est vers chez vous que nous allons. Premiers coups de pédales. Je rentre à peine de New York et je sors de deux jours intensifs au salon des blogueurs de voyage, j’ai soif de nature. Nous sommes lancés.
Les paysages défilent. Les pavés salés de Saint Malo s’effacent devant une côte écorchée. La mer est loin ce matin, mais ses humeurs dessinent la roche qui n’a jamais le temps de sécher ses larmes. Elle me fascine. Comment cet infini de calme peut-il cacher tant de violence ? La mer m’attire immanquablement. J’aime être près d’elle, sentir sa présence, comme j’aime me tenir près d’une personne qui m’inspire. Quelques minutes de ce face à face déséquilibré suffisent pour emplir tout mon corps d’une belle énergie. Je continue à pédaler. La silhouette des remparts de Saint Malo a disparu.
Au fur et à mesure que nous avançons, la roche se tache de couleurs. Jaunes, violets, verts, des tapis de fleurs s’étalent entre la pierre rugueuse et le vent infatigable. Poètes téméraires, elles nous guident le long des chemins de terre claire. Et de temps en temps, une maison au toit en ardoise ou un vieux moulin en pierres apparaît au milieu d’un nuage de glycine odorante. Il doit faire bon vivre en Bretagne ; vous nous le confirmerez bientôt. J’ai envie de m’arrêter partout, d’immortaliser les couleurs de chaque paysage dans quelques pixels.
Je continue à pédaler. Mes mollets commencent à bien chauffer. Léo jubile. Il est dans son élément. Malgré les vingt kilos de bagages chargés sur son vélo, il me parle déjà de voyages à vélo. Il n’est plus qu’un sourire d’enfant sous des boucles sauvages. On touche là du doigt sa définition de la liberté. Son énergie m’impressionne et inspire chacun de mes coups de pédales.
Tout petit, il apparaît enfin : le mont Saint Michel. C’est vers lui que nous pédalons. Autour de lui, les prés salés où broutent de paisibles moutons et les champs de colza en fleurs le laissent humblement dominer le panorama. Nous ne pouvons pas le perdre de vue. Sa pointe stable nous guide, tandis que les paysages continuent à défiler, tout doucement.
La journée s’étire, le soir se fait sentir. Je frappe à la porte d’une belle maison le long du sentier. Le jardin, tout habillé de fleurs, nous accueille de son parfum printanier. Une dame de quatre-vingt ans nous ouvre grand la porte de chez elle. À notre requête, vous n’hésitez pas une seule seconde à nous accueillir dans votre beau jardin. Ça sonne comme une évidence, nous sommes chez nous pour la nuit.
Plus que dix kilomètres nous séparent du mont Saint Michel. Nous enfourchons de nouveau nos vélos et passons en Normandie. Nous avons vu grandir le mont toute la journée et nous le découvrons enfin, tout près. Tout illuminé, il déchire un ciel où brillent des milliers d’étoiles. Nous nous baladons dans ses rues presque vides.
La fatigue me rend le spectacle un peu flou, mes jambes ne sont plus vraiment fiables. Il est temps de rentrer nous blottir dans la tente. Un réveil sonnera avant l’aurore, mais le confort de ce petit coin de jardin aura raison de notre motivation. Promis, la prochaine fois que nous viendrons, nous irons voir le soleil se lever au-dessus du mont.
Après avoir partagé un café au village – oui, il doit faire bon vivre en Bretagne – vous revenez nous saluer. Vous nous invitez à revenir la prochaine fois que nous sommes dans le coin et regrettez que nous ne restions pas plus longtemps pour partager un repas. Mais la route nous appelle déjà. Je suis heureuse que ce soit à votre porte que je glisse ma toute première carte postale.
Nous pédalons encore. Nous retournons voir le mont Saint Michel ; puis nous entamons la route de retour pour Saint Malo.
Les paysages découverts la veille m’émerveillent toujours. La lumière joue à les réinventer à chaque instant. Les vaches et les moutons nous saluent. J’inspire de gourmandes goulées de cet air à la fois iodé et fleuri. Je suis de nouveau en pleine forme. Nous pédalons sans cesse. Quelques huîtres et un verre de vin blanc viennent me faire oublier mes jambes en feu et mes fesses endolories.
Les derniers kilomètres sont plus difficiles. J’ai mal et j’ai hâte d’arriver dans les remparts. Enfin, Saint Malo nous accueille avec un coucher de soleil qui me fait tout oublier. Nous prenons le temps de lui dire au-revoir la bouche pleine de galette.
Et je vous dis au revoir également. Nous reviendrons vous rendre visite !
Je vous embrasse.
Léa
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Et le Couesnon, nom de nom !
* Et ils passèrent outre-Couesnon. Ce petit fleuve côtier marquait la séparation entre les régions de Bretagne et de Normandie. En le suivant vers son embouchure, dans la baie du mont Saint Michel, ils s’éloignaient à grands coups de pédales de sa source, près de l’étang de Vézins, sur la commune de Saint Pierre des landes en Mayenne.
trop belles, tes photos ! bisous
Merci Cécile ! Bisous
Je me suis régalée en te lisant, ma Bichette, car, en plus je connais très bien tous ces coins là et j’adore la Bretagne. Merci pour ces beaux textes, qui nous mettent dans l’ambiance et même les sensations !! Profitez-en bien et gros, gros bisous à vous partager.
Mamie Anne.
Merci ! (: Bises.