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J’ai arrêté de marcher. Soixante-neuf jours après avoir quitté Bluff, tout au Sud de la Nouvelle-Zélande, la boule au ventre, le sourire aux lèvres, sans trop croire que j’y arriverai, je suis arrivée. Je ne suis toujours pas certaine d’y croire. J’ai traversé toute l’île du Sud de la Nouvelle-Zélande à pied, sur le Te Araroa, d’une côte à l’autre, en suivant les rivières, m’enfonçant dans les forêts et grimpant les sommets, un à un.

Je t’écris aujourd’hui pour te raconter un peu de ces dix semaines de marche. J’ai le sentiment que j’ai beaucoup à en dire. C’était une expérience intense. Et pourtant, comment te raconter cela ? Je n’ai fait que marcher après tout.

***

Avant que je ne parte, on m’avait dit « Tu verras, tu rentreras transformée. ». Aujourd’hui, je ne pense pas avoir changée. Je suis la même, simplement renforcée. Plus forte dans mon corps qui s’est vite adapté à cette vie en mouvement et aux montagnes. Mais surtout plus forte dans ma tête. Déjà, parce que je sais maintenant que j’en suis capable. Je me souviens notamment de ce matin, au sommet du Little Rintoul, juste après avoir marché ce qui devait être la partie la plus difficile de tout le trail. Je me souviens arriver en haut avec Amelia et Kate. On l’avait fait. Tout simplement. Je me souviens alors de ce sentiment qui m’a complètement submergée. Une vague au milieu des montagnes. J’en ai eu les larmes aux yeux. Je me suis sentie inarrêtable, capable de tout. Et c’est là, juste une semaine avant que l’on finisse de marcher, que j’ai su pour la première fois que je finirai cette traversée.

Ensuite, je me sens plus forte dans mes idées. Aujourd’hui que j’ai arrêté de marcher, je sais plus que jamais ce que je veux et ce qui est important pour moi. Et c’est peut-être cela qu’il faut que je partage avec toi. Parce que dix semaines de marche, ce sont de nombreux beaux paysages, un incroyable défi physique, mais c’est surtout beaucoup d’espace libre pour penser. Jamais, de toute ma vie, je n’ai eu l’occasion de passer autant de temps dans ma tête. Stimulées par le rythme lent de mes pas, des idées se dessinent au milieu du chant des oiseaux, des décisions sont prises, des opinions se renforcent. Parmi celles-ci, il y en a deux dont je voudrais te parler aujourd’hui : la simplicité et l’amour.

La simplicité. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de cette longue marche, ce serait tout simplement cela. Je pensais avoir une vie simple. Mais je la comparais aux normes de notre société hyperactive. Je veux maintenant la comparer à la vie dans les montagnes. Cette vie dépourvue de superflu, où l’essentiel doit tenir dans un sac-à-dos – pas trop lourd pour pouvoir toujours grimper le prochain sommet – où la réduction des possessions entraîne une réduction des décisions. Il ne reste qu’à marcher. Suivre les triangles oranges comme si eux-seuls avaient du sens. Et puis songer. Les pensées libérées de tout cadre réapprennent la curiosité. Je veux retrouver un peu de cette simplicité. Déposséder. Abandonner ce qui est de trop. Tout alléger pour laisser toute sa place à la curiosité et aux idées dépourvues de ces contraintes inutiles.

L’amour. J’avais d’abord pour projet de marcher seule et pour idée de tester ma capacité à être ainsi solitaire. Et puis Amelia, que j’avais rencontrée quelques jours plus tôt, m’a demandé si elle pouvait se joindre à moi. C’est mon intuition qui, sans hésiter, lui a répondu oui. Comme à Kate quelques mois plus tard. Et, marcher plusieurs mois avec ces voyageuses que je ne connaissais finalement qu’à peine, a sans doute été ma plus belle expérience sur le Te Araroa. Je sais aujourd’hui que j’aurais pu le faire seule. Mais sans ces rires qui font encore écho dans les montagnes, le chemin aurait été sans doute bien plus long. Et, c’est ainsi isolée au milieu des montagnes que, j’ai accepté de ne pas être cette voyageuse solo. J’aime les gens. Au fur et à mesure que ce simple constat se renforce sur le chemin, je défais un à un mes plans solitaires pour laisser toute sa place à l’amour. J’accepte d’en faire une priorité.

***

Et maintenant ? Maintenant, je réapprends la vie immobile. Mon corps est un peu perdu. Je voudrais encore marcher. Je retrouve la vie en communauté, parfois encore un peu trop intense, mais toujours tellement stimulante. Et puis il va me falloir tâtonner un peu pour trouver un nouvel équilibre vers ce plus de simplicité auquel je souhaite tendre. Peut-être faudra-t-il que je retourne marcher un peu.

Je t’embrasse.

Léa

[English translation]

Te Araroa : walk across the South Island of New Zealand

I have stopped walking. Sixty-nine days after leaving Bluff, in the very south of New Zealand, with a lump in my stomach, a smile on my face, and not much faith that I would make it, I have arrived. I’m still not sure I believe it. I walked across the whole South Island of New Zealand, on Te Araroa, from coast to coast, following the rivers, going into the forests and climbing the peaks, one by one.

I am writing to you today to tell you a little bit about these ten weeks of walking. I feel that I have a lot to say about it. It was an intense experience. And yet, how can I tell you about it? I only walked after all.

***

Before I left, I was told, « You’ll see, you’ll come back transformed ». Today, I don’t think I have changed. I am the same, just stronger. Stronger in my body, which quickly adapted to this life in motion and to the mountains. But especially stronger in my head. First of all, because I know now that I can do it. I remember this morning, at the top of Little Rintoul, just after having walked what was supposed to be the most difficult part of the whole trail. I remember getting to the top with Amelia and Kate. We just did it. I then remember the feeling that completely overwhelmed me. A wave in the middle of the mountains. It brought tears to my eyes. I felt unstoppable, capable of anything. And it was there, just one week before we finished walking, that I knew for the first time that I would finish this journey.

Then I feel stronger in my ideas. Now that I have stopped walking, I know more than ever what I want and what is important to me. And maybe that’s what I need to share with you. Because ten weeks of walking is a lot of beautiful landscapes, an incredible physical challenge, but above all it is a lot of free space to think. Never in my life I had the opportunity to spend so much time in my head. Stimulated by the slow pace of my steps, ideas are formed amidst the birdsong, decisions are made, opinions are reinforced. Among these, there are two that I would like to talk about today: simplicity and love.

Simplicity. If there was only one thing to remember from this long walk, it would be simply this. I thought I had a simple life. But I was comparing it to the norms of our hyperactive society. Now I want to compare it to life in the mountains. This life without the superfluous, where the essentials must fit in a backpack – not too heavy so that you can always climb the next peak – where the reduction of possessions leads to a reduction of decisions. All that remains is to walk. Follow the orange triangles as if they alone made sense. And then think. Thoughts freed from all frameworks re-learn curiosity. I want to find some of this simplicity again. To dispossess. Abandon what is too much. To lighten everything in order to leave all its place to curiosity and to ideas devoid of these useless constraints.

Love. At first I had the project to walk alone and the idea to test my capacity to be solitary. And then Amelia, whom I had met a few days earlier, asked me if she could join me. It was my intuition that, without hesitation, answered yes. As it did to Kate a few months later. And, walking for several months with these travelers that I hardly knew, was probably my best experience on Te Araroa. I know today that I could have done it alone. But without the laughter that still echoes in the mountains, the journey would have been much longer. And so, isolated in the middle of the mountains, I accepted not to be this solo traveler. I love people. As this simple fact is reinforced on the way, I undo one by one my solitary plans to leave all its place to love. I accept to make it a priority.

***

And now? Now I am relearning the still life. My body is a bit lost. I would like to walk again. I am returning to community life, sometimes still a little too intense, but always so stimulating. And then I will have to grope a bit to find a new balance towards this more simplicity I wish to strive for. Maybe I’ll have to go back to walking for a while.

With love.

Léa

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Cet article a 5 commentaires

  1. Mouton

    Je n’ai jamais douté de toi moi. Et je suis heureuse que tu découvres ta puissance ! La puissance de ton corps et bien plus encore la puissance de ta volonté !
    Et oui… l’être humain comme le Mouton est un animal grégaire ! Nous sommes faits pour le groupe et la chaleur humaine. Bien sûr que nous pouvons faire beaucoup tous seuls mais clairement ça n’a pas la même saveur qu’en les partageant. J’admire ta capacité à relever des défis fous : tout quitter, être nomade, marcher 1300km… pour trouver les grandes vérités que tout le monde ne trouve pas en toute une vie ! Tu restes un modèle pour l’humanité selon moi !

    1. Léa

      Hahaha tu m’as fait rire avec les moutons ! Merci ma maman. <3

      1. Mouton

        Nous avons beaucoup à apprendre de ce noble animal ❤

  2. Lucie

    J’ai aimé te suivre sur Instagram, voir ton évolution, ta progression.
    Quand tu as annoncé ton départ, une petite pointe de jalousie s’est glissée au fond de moi et puis j’ai réalisé qu’à l’époque où je vivais en Nouvelle-Zélande, j’avais encore trop de choses à apprendre sur moi, pour m’en sentir capable. Finalement c’est à mon retour d’Afrique que je me suis lancée… au cœur des Pyrénées.

    Je n’ai pas douté une seule seconde que tu n’y arriverais pas, fière et forte parmi les paysages néo-zélandais. La marche a ce petit plus qui guérit, qui nous renvoie aux choses simples, à ce que devrait être l’humain finalement. Dans un monde hyperactif comme tu dis si bien, il est facile d’oublier ce qui nous entoure et prendre la route, ralentir demande souvent beaucoup de courage. Une fois le départ, chargée de peu, on se libère d’un poids sidéral pour mieux s’écouter. Et alors tout prend sens. ♥

    1. Léa

      Merci Lucie pour ce message. Tu trouves les mots juste pour décrire la marche. Heureuse que tu aies pu le faire dans Pyrénées !

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