C’est depuis notre volontariat dans la campagne néo-zélandaise que je prends le temps de te parler plus longuement de notre expérience dans le désert de Thar. Nous avons passé une semaine comme volontaires dans la famille de Khameesh, de sa femme et de ses sept filles. Ils tiennent une petite ferme en permaculture dans le cœur du désert de Thar, dans l’état du Rajasthan, en Inde.

Notre volontariat

Tout d’abord, quelques mots sur notre volontariat. Nous sommes passés par la plateforme Workaway, qui permet d’échanger 5h de travail quotidien contre logement et repas. Nous sommes arrivés à trois, Léo, Gaëlle (qui a voyagé depuis la Belgique jusqu’en Inde sans avion) et moi, et avons été accueillis très chaleureusement par la grande famille. Mais il n’y avait pas beaucoup à faire à cette période et n’avons pas eu l’occasion de travailler la terre directement. Tout ce que nous avons appris sur la permaculture dans le désert, c’est Khameesh qui nous l’a raconté, passionné et pédagogue. Nous sommes donc bien loin des 5h de travail quotidien.

Nous dormions dans une jolie cabane, en haut d’un arbre, que nous partagions avec quelques oiseaux et écureuils. Nous avons également financé nos repas (pour l’équivalent d’environ 2 € par jour) que préparait la femme de Khameesh. Nous avons cherché à aider en améliorant un peu le confort de la cabane, en creusant des toilettes dans le sable et en faisant un petit paravent pour pouvoir se changer par exemple. J’ai également pu améliorer un peu le site web de la ferme. Pour ce faire, je suis allée dans la petite maisonnette en terre des voisins qui était raccordée à l’électricité, et j’ai pu travailler quelques heures, entourée par de nombreux regards curieux qui cherchaient à comprendre ce que je trafiquais sur cette drôle de machine.

Le dernier jour, nous nous sommes rendus dans la ferme de la sœur de Khameesh (en permaculture aussi) où il y a de plus nombreuses plantations et où nous avons pu filer un coup de main avec le compost.

Nous avons donc passé une semaine, perché dans notre arbre au cœur du désert de Thar. Une semaine loin de tout, sans accès à l’électricité, aux toilettes et avec un accès très très limité à l’eau. Une semaine de déconnexion, expérience exotique pour nous mais réalité quotidienne pour la famille de Khameesh. Alors que nous parlons de sobriété, ils parlent d’austérité. Tout est une question de choix. Nous l’avons et ils ne l’ont pas.

La vie dans le désert

Pendant une semaine, nous avons vécu le quotidien de la famille de Khameesh. On ne vit pas dans le désert comme on vit ailleurs. Ici, le manque d’eau est partout. Il se ressent comme une présence constante. On y pense, on vit avec. Les filles, dès leur plus jeune âge, savent économiser chaque goutte. On apprend à faire la vaisselle avec le sable, à laver ses cheveux longs dans un petit bol, à rallonger l’eau que l’on boit avec un peu de lait, à se passer de toilettes et de douche et on apprend surtout à boire moins. Khameesh nous dit qu’une bonne année est une année où il pleut deux heures. Deux heures… Il prie chaque jour pour que le ciel leur offre un peu de cette pluie salvatrice ; juste quelques goûtes. Nos corps occidentaux n’ont pas résisté longtemps. Très vite, nous avons été tous les trois malades et le sommes restés tout au long de notre séjour, un peu écourté pour cette raison.

Les filles, elles, sont si fortes. Elles ne vont pas à l’école et passent toutes leurs journées à la ferme. Elles sont très vite responsables. Les plus âgées s’occupent des plus jeunes. Elles aident à la cuisine, elles ramassent du bois pour le feu du soir. Et puis elles jouent. On l’oublie presque, mais ce sont des enfants. Dans le désert, on entend résonner les rires, les disputes et les jeux. Le désert de Thar est leur terrain de jeux. Elles ne connaissent que lui.

Et quand le soir tombe, tout le monde se réunit dans la petite maison. Quelques tôles bricolées pour faire une grande pièce unique ; en son cœur brûle un petit feu de bois qui serre à cuisiner et à se réchauffer. Tout autour, des couvertures un peu partout. Je les imagine dormir ici en un grand méli-mélo, emmitouflés dans les couvertures épaisses et poussiéreuses. La maman cuisine avec les aînées. Des lentilles en sauce, des chapatis à la farine du millet qui pousse facilement ici et du riz blanc, mais seulement pour les invités. Les plus jeunes apportent les assiettes dehors. Khameesh a installé des couvertures sur le sable et allumé un second feu. On mange là, tous serrés pour se tenir chaud et on refait le monde. Au-dessus de nos têtes brillent des milliards d’étoiles. On ne les voit jamais dans les villes indiennes, alors on profite de ce luxe. Des étoiles et du calme.

Le combat de Khameesh pour la permaculture

Tu sais, la famille de Khameesh aurait pu avoir une vie plus facile. Elle aurait pu avoir de l’eau en abondance. Elle aurait pu faire pousser plus de légumes et en vendre. Elle aurait pu manger à sa faim et envoyer les filles à l’école. Elle aurait pu vivre dans une vraie maison en dur, avec de l’eau, de l’électricité et une télé comme celle des voisins. Elle aurait pu mais Khameesh a fait un choix. Il a choisi la permaculture. Il a choisi la vie.

Il est allé se former en Jordanie et en Tanzanie. Je n’ose même pas imaginer tous les sacrifices qui ont été nécessaires pour pouvoir faire de tels voyages. Mais Khameesh est du genre déterminé. Il a découvert le concept en discutant avec des étrangers alors qu’il travaillait dans un petit hôtel à Jaisalmer et a tout de suite su que c’était la voie qu’il souhaitait suivre.

Mais le truc, c’est que Monsanto est bien installé dans le coin. Puissante, la multinationale a répandu ses pesticides et semences dans toute l’Inde. Elle a les moyens et les utilise pour du lobbying. Dans le désert, c’est soit tu utilises les produits de Monsanto et tu fais pousser des légumes et céréales en abondance mais gorgés de poison. Tu deviens alors facilement riche, tu peux t’acheter une belle voiture et organiser des mariages tonitruants, durant des journées et des nuits entières, pour tous tes enfants… Soit tu refuses et Monsanto te prive d’eau. Voilà, ni plus ni moins. Monsanto a ici le pouvoir de te donner accès ou non à ce qu’il y a de plus précieux, de plus vital.

Et c’est dans ce contexte que Khameesh a choisi la permaculture. Il se bat chaque jour pour sauver les arbres qui sont déracinés au profit de grandes monocultures. Il a compris l’importance de chaque être vivant, animal ou végétal, et l’interdépendance qu’il y a entre tous. Il se bat pour les insectes, pour les oiseaux. Chaque arbre sauvé est une grande victoire. Et il essaie de faire passer ce message aux autres fermiers, ceux qui ont déjà la grosse voiture et ceux qui en rêvent. Il veut montrer qu’on peut faire des cabanes dans les arbres au lieu de les couper. Il veut montrer que dans un petit espace, on peut planter une grande variété de végétaux qui veillent les uns sur les autres. Il veut montrer qu’on peut se passer de pesticides, qu’on peut faire des merveilles avec du compost et qu’on peut nourrir toute une famille avec très peu d’eau.

Et nous dans l’histoire ? On sert à légitimer ses propos. Si des occidentaux s’intéressent ainsi à cette petite ferme c’est qu’il doit y avoir quelque chose d’intéressant après tout. Et on sert à faire passer le message. C’est pour ça que je t’écris cette lettre. Pour que tu saches que, quelque part dans le cœur du désert de Thar, un héros au sourire modeste se bat contre un géant pour la vie.

Je t’embrasse.

Léa

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Cet article a 8 commentaires

  1. Mouton

    Émue aux larmes par le grand courage de cet homme prêt à tant sacrifier par amour de la vie, par conviction, prêt à lutter pour sauver le vivant sans entrer dans un système mercantile qui nous étouffe !
    Je boycotte déjà monsanto. Enfin j’espère que je ne me fourvoie pas. Je vais être encore plus vigilante en hommage à cet homme courageux

    1. Léa

      C’est sans doute l’une des entreprises les plus difficiles à boycotter tant elle est partout ! J’essaie aussi !

  2. Merci, Léa, pour ce témoignage émouvant. Quel courage a cette famille ! Tu as raison, il faut en parler. J’en parlerai.
    Je t’embrasse.
    Monique

    1. Léa

      Merci à toi alors Monique ! Je t’embrasse aussi.

  3. Toffin

    Merci pour ce beau récit qui m’a fait découvrir cet homme si courageux.

  4. Guy Bourigan

    On a forcément les yeux qui piquent pour ce héros au sourire modeste qui lutte au quotidien pour faire vivre ses huit femmes et à qui Dieu n’a même pas fait le don d’un seul garçon !

    1. Léa

      Pas encore ! Mais la famille s’agrandira sans doute encore !

  5. Gits

    Amour de la vie pour que vive l’Amour de la et ceux qui l’habitent

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